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Compte-rendu du colloque : « Des Cathares et des hérétiques. Entre mythe et réalité ! »

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L’hérétique est le faux prophète de la Bible qui revendique le droit à la prédication. Il aspire à la pureté évangélique et sa référence exclusive est Jésus qui était un prédicateur. C’est pourquoi les hérétiques prétendaient prêcher comme le Christ, ce qui leur sera refusé par l’Eglise. Il est vrai que la prise de parole en l’an mil, donne à certains prédicateurs incontrôlés l’occasion d’annoncer la fin du monde, tel ce prêtre parisien auquel répondra Abbon, l’abbé de Fleury, en 985, qui rappelait que nul ne sait « ni le jour ni l’heure ». Plus tard, le joachimisme inspire à son tour des mouvements eschatologique (« les fanatiques de l’Apocalypse ») qui se heurtent à la méfiance ou à l’hostilité des autorités religieuses. Être parfait, c’est donc se tenir prêt, en vue de l’imminence de l’Apocalypse, fondement même de la prédication de Jésus (la venue du Royaume de Dieu). Pour Raoul Glaber, moine bourguignon du 11e s., les faux prophètes sont un signe annonciateur de la fin du monde.

Les hérétiques réfutent globalement les institutions ecclésiales, notamment les sacrements. C’est pourquoi, l’Eglise dénonce l’hérésie, d’autant plus fermement que la hiérarchie ecclésiale est en proie à la simonie (corruption dénoncée par Bernard de Clairvaux dans sa lettre sur les devoirs des évêques) et au nicolaïsme (la question du mariage des évêques et des prêtres, question d’une brûlante actualité avec le mariage pour tous : quelle sera la position du Vatican ?). Au cours de la 2e moitié du 11e s., la réforme dite « grégorienne » ne résoudra qu’en partie ces problèmes. Sous cet angle, l’histoire de l’Eglise peut se résumer à une volonté de réforme toujours avortée.

L’érémitisme qui fleurit au 11e s. procède en partie de cette même récusation des formes ecclésiales. Une « recherche de la perfection » anime aussi les fondateurs des grands ordres : Camaldules (1012), Cîteaux, la Chartreuse, Prémontrés, Grandmont, Robert d’Arbrissel, le bienheureux fondateur de Fontevrault où il trouve le « désert » idéal pour sédentariser ses pauperes christi, puis plus tard, au 13e s. les ordres mendiants.

L’Eglise a besoin d’asseoir son autorité, d’affirmer sa puissance. Cela passe souvent par une démonstration de richesse. Celle-ci contraste fortement avec l’aspiration à la pauvreté. L’Eglise mène une politique que résument très bien, en 1075, les Dictatus Papae, recueil de 27 propositions cherchant à instaurer une théocratie pontificale. Pour cela, l’Eglise a besoin :

  • de Bernard de Clairvaux qui, en 1145, prêche contre Henri dit de Lausanne dans le Midi.
  • de Philippe Auguste qui, à la demande du pape Innocent III, engage une expédition militaire en 1204 contre les hérétiques du Midi. Cet appel sera réitéré en 1205 et 1207. A ce propos, la croisade contre les albigeois sera pour les rois Philippe Auguste (1180-1223), Louis VIII (1223-1226) et Saint-Louis (1226-1270) une chance politique, celle de rétablir leur domination sur les terres du puissant comte de Toulouse. Le catharisme tombe bien dans cette région !
  • de Dominique de Guzmán et de François d’Assise (: Innocent III approuve en 1209 oralement le mode de vie proposé par lui – la pauvreté à certaines conditions – et lui accorde le droit de prêcher).
  • de l’office de l’Inquisition instauré par le pape Grégoire IX, office qu’il confie aux dominicains en 1233.

Parallèlement, l’hérésie touche les couches aisées de la bourgeoisie (Pierre Valdès, le marchand enrichi qui, abandonnant tout, entraîne avec lui ses Pauvres de Lyon : les vaudois). Nous sommes à une époque de croissance économique qui profite aux villes, mais l’enrichissement est mal vécu et les aspirations à une vie ascétique de pauvreté sont très fortes. Aussi, la confusion existe entre contestation sociale et hérésie, ce qui peut expliquer les répressions énergiques des Princes aux côtés de l’Eglise. A Paris comme dans les campagnes du bordelais et de la Gascogne, les révoltent sociales grondent au 13e et au 14e siècles.

C’est à se demander si l’hérésie médiévale n’est pas, en partie, une construction des clercs (au premier rang desquels le moine bénédictin rhénan Eckbert de Schönau), construction qui peut être instrumentalisée à des fins politiques. « Entre mythe et réalité », la question cathare est difficile à trancher.

Enfin, l’hérétique est celui qui ne suit pas le dogme de l’Eglise. Il relance, à en croire les procès inquisitoriaux, les vieilles querelles christologiques, apparues dès le début du christianisme, à propos, essentiellement, de la nature de Jésus, donc de la Trinité, donc de Dieu. C’est pourquoi il est un « néo-manichéen ». Les débuts du christianisme sont marqués par d’innombrables points de vue divergents (docète, gnostique, manichéen, arien, nestorien, novatien, monophysite, etc.) et, jusqu’à aujourd’hui, l’orthodoxie chrétienne, et plus spécialement catholique, est âprement discutée. Ainsi, l’histoire de l’église est une lutte constante entre une orthodoxie qui s’affirme à coup de dogmes et des théologiens, des penseurs, discutant ces dogmes, ou bien proposant un point de vue différent tels Origène, Jean Scot dit l’Érigène, Joachim de Flore, Amaury de Bène, les adeptes du Libre Esprit, les anabaptistes qui nous situent déjà à l’époque moderne.

Parallèlement, le souci de vivre une vie évangélique de pauvreté au Moyen Âge, poussent certains à adopter des modes de vie rigoureux, contrastant avec le faste de l’Eglise – c’est Cluny et le triomphe de l’art roman.

Le problème, on l’a dit, c’est que l’Eglise mène une politique dans laquelle les opposants, les dissidents, ceux qui sont différents – les bougres, les vaudois –, sont catégoriquement exclus. Ils sont les hérétiques. On les dit « cathares », curieuse appellation quand on sait le peu de fois que le mot a été utilisé, voire pas du tout, notamment, semble-t-il, dans le Languedoc. Il n’y a pas de châteaux cathares. Par contre, il y a eu une croisade albigeoise, une répression terrible qui a servi autant les rois de France (Philippe Auguste, Louis VIII et Louis IX) que le pape en manque d’autorité.

La Nouvelle de l’Hérétique (dialogue entre l’inquisiteur Izarn et Sicart de Figueiras, cathare revenu à la foi catholique), décortiquée par Katy Bernard, expose des aspects si caricaturaux, voire burlesques, que la conclusion à laquelle on arrive est qu’on a à faire à un texte de dissidents pour la distraction de dissidents, ces derniers prenant de la hauteur par rapport à des événements graves : le bûcher des hérétiques. Il s’agit donc de procéder à une lecture critique du compte-rendu des inquisiteurs.

Le catharisme est une affaire politique et, à trop se focaliser sur l’aspect « hérésie » combattue par l’Eglise (une Eglise garante du kérygme « proclamation de la Bonne Nouvelle » et ne tolérant pas que d’autres s’accaparent le droit de prêcher), on oublie l’aspect social, la vie économique. C’est pourquoi il y a collusion entre la dissidence d’apparence religieuse et la révolte sociale.

Dans tous les cas, on a à faire à des opposants au pouvoir. Ces derniers ont été durement réprimés.

Pour en savoir plus sur les cathares, vous pouvez suivre le lien : LES CATHARES

Programme de l’équinoxiale d’automne 2019 – « Des Cathares et des hérétiques. Entre mythe et réalité ! »

mercredi 18 septembre 2019

10h : accueil et présentation du programme et des intervenants

10h15. Lectures par Quitterie Oberson

Les hérétiques d’Orléans. Raoul Glaber, Les cinq livres de ses histoires (900-1044), publié par Maurice Prou, Paris, Picard, 1886, livre III, chapitre VIII, 26-27, p. 74-76.

Les Bougres du Nord de la France. Bernard Delmaire, « Un sermon arrageois inédit sur les Bougres du Nord de la France (vers 1200) », dans Heresis, n°17, décembre 1991, p. 1-15.

10h30. « Ferments apocalyptiques (13ème-16ème siècle) »

L’Apocalypse nomme Dieu « celui qui fut, qui est et qui sera ». L’Abbé Joachim de Flore (1130-1202) associe la formule à la figure de la Trinité chrétienne pour diviser l’histoire en âge du Père, du Fils et de l’Esprit saint, dont il annonce l’imminente arrivée. Le joachimisme inspire à son tour des mouvements d’impatience eschatologique (« les fanatiques de l’Apocalypse ») qui se heurtent à la méfiance ou à l’hostilité des autorités religieuses.

par Claude-Gilbert Dubois, Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux                                           

12h. Lectures par Quitterie Oberson

La richesse indue des évêques.

Bernard de Clairvaux, Lettre 42, Sur les devoirs de évêques, II, 4-7 (trad. Dom J. Leclercq, Paris, Le Seuil, coll. « microcosme », 1966, p. 164.

La secte des vaudois.

Bernard Gui, Manuel de l’Inquisiteur, éd. et trad. Par G. Mollat, t. 1, Paris, Champion, 1926 (Les Classiques de l’histoire de France au Moyen Âge), p. 34-39.

12h15. Suspension

14h15. Éléments des portraits de l’hérétique et de l’inquisiteur dans Las novas del heretge « La nouvelle de l’hérétique » d’Izarn (XIIIe-XIVe siècles)

Las novas del heretge, nouvelle en langue d’oc du XIIIe ou du XIVe siècle, présente un hérétique, attaché à la foi dite cathare, qui revient à la foi catholique. La conversion de cet hérétique, Sicart de Figueiras, se produit au terme d’un dialogue avec l’inquisiteur, Izarn, qui l’interroge. Ce dialogue offre, entre dénonciation de l’hérésie et reconstitution burlesque d’un interrogatoire d’inquisiteur, des portraits saisissants des deux protagonistes. Il s’agira d’en présenter les traits les plus saillants.

par Katy Bernard, Université Bordeaux Montaigne

15h30. Lectures par Quitterie Oberson

Saint Dominique et l’hérésie.

Cartulaire ou histoire diplomatique de saint Dominique, éd. RR. PP. Balme et Lelaidier, vol. 1, Paris, 1893, n° I, p. 148 (a) ; n° V, p. 186-188 (b) ; n° XLVII, p. 515-516 (c).

Les débuts de l’Inquisition.

Chronique de Guillaume de Puylaurens, éd. et trad. Par Jean Duvernoy, Paris, éd. du C.N.R.S., 1976 (Sources d’histoire médiévale publiée par l’I.R.H.T.), n° XLI, p. 150-155.

Discussion et suspension de la séance

jeudi 19 septembre 2019

10h. Accueil et présentation du programme de la séance

10h15. Lectures par Marc Lachieze

Les révoltent grondent.

  • Continuation de Géraud de Frachet, dans Recueil des Historiens de France, XXI, p. 27.
  • Jean de Sain-Victor, Ibidem, p. 647
  • Grandes chroniques de France, éd. J. Viard, Paris, 1937, t. 9, p. 237-239, Société de l’histoire de France.

10h30. «  Contestations politiques dans les campagnes gasconnes au XIIIe siècle »

Au siècle de la dissidence albigeoise, la contestation sociale s’exprime aussi sur le terrain politique. C’est le cas dans les campagnes du Bordelais et de la Gascogne où des plaintes paysannes, conservées dans les archives, trahissent l’existence de représentations du pouvoir dont l’Eglise est exclue et révolutionnaires par bien des aspects.

 par Frédéric Boutoulle, Université Bordeaux Montaigne

12h. Lectures par Marc Lachieze

Interrogatoires d’hérétiques et conversions.

a) Cartulaire ou histoire diplomatique de saint Dominique, éd. RR. PP. Balme et Lelaidier, vol. 1, Paris, 1893, n° IV, p. 171-173.

b) Jean Duvernoy, « Cathares et faidits en Albigeois vers 1265-1275 », dans Heresis, n°3, décembre 1984, p. 5-34.

12h15. Suspension

14h15. « Montségur et les « châteaux cathares ». Mythe et réalité. « 

Toute évocation des «  châteaux cathares », et surtout de celui de Montségur,  continue à fasciner aujourd’hui ! Il est étonnant de constater la force du mythe, et la quantité de publications et de sites internet dont il fait toujours l’objet.

Et pourtant, il n’y a jamais eu de châteaux construits par les cathares !

Deux orientations s’imposent pour évoquer une telle question.

La première consiste à considérer quelques-unes de ces « citadelles du vertige » (Michel Roquebert) – telles Thermes, Peyrepertuse, Puylaurens, Aguilar, Quéribus, Montségur –,  à montrer qu’elles sont, comme partout en Europe occidentale, des constructions des pouvoirs féodaux en place, et à rappeler que leur supposée construction par les cathares est un non-sens à l’analyse de cette religion (travaux, entre autres, d’Anne Brenon). Au cours du terrible épisode de la Croisade des Albigeois, elles servent parfois de refuges aux cathares. Certaines d’entre elles sont reprises, après la croisade, par le roi de France pour faire face à la menace du royaume d’Aragon.

La seconde orientation conduit, à travers le célèbre exemple de Montségur, à comprendre comment s’est construit le mythe. Né au XIXe siècle, avec, entre autres, Napoléon Perrat (initiateur en 1870 du mouvement du néo-catharisme) et Jules Doinel (créateur en 1890 de l’Église gnostique de France), il se construit avec Antonin Gadal, avec une orientation très marquée : l’association de Montségur au saint Graal ! Le phénomène reste encore assez régional au début du XXe siècle, mais les nazis, en la personne d’Otto Rahn, vont diffuser le mythe à l’échelle européenne. Par la suite, Fernand Niel, en France, perpétue cette approche.

En 1966, la célèbre émission de télévision « La Caméra explore le temps » permet une vulgarisation sur le monde cathare et induit une conscience occitane. À la même époque, commence une considération scientifique sur Montségur, les châteaux de la région (travaux de Michel Roquebert) et le catharisme, considération qui conduit, entre autres grâce à l’archéologie, à une meilleure connaissance, et par là même à la chute du mythe !

Ceci étant, et même face à la science, le mythe persiste de nos jours : « Quand on veut croire dur comme fer à quelque chose, rien, pas même la plus rationnelle des démonstrations, ne pourra vous faire changer d’avis, de filtre, de structure mentale » (Pierre Barthélémy).

par Philippe Durand, Université Bordeaux Montaigne

Lecture par Marc Lachieze. François d’Assise, Cantique de frère Soleil (1225). Petite vie de François d’Assise, Paris, Desclée de Brouwer, 1993.

Discussion et clôture des débats

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